L’amour à l’imparfait du subjonctif
Oui, dès l’instant où je vous vis,
Beauté farouche, vous me plûtes;
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ, vous aperçûtes.
Mais de quel air froid vous reçûtes,
Tous les soins que je vous offris!
Combien de soupirs je rendis?
De quelle cruauté vous fûtes?
Et quel profond dédain vous eûtes
Des gros tourments que je souffris!
En vain je priai, je gémis.
Dans votre dureté vous sûtes,
Mépriser tout ce que je fis;
Mais un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j’y mis.
Ah fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez
Qu’ingénument je vous le dise,
Qu’avec orgueil vous vous tussiez;
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,
Qu’à vos pieds je me prosternasse
Pour que vous m’assassinassiez!
D’Alphonse Allais
Source: «Pour tout l'or des mots»
Claude Gagnière, Bouquins, Robert Laffont 1996